Texte d'Élise Girardot

À partir de matériaux issus de l’industrie, Anselme Sennelier décortique les gestes pour forger un résultat inédit. Il burine, ponce, fait choir le ciment du mur, gratte encore. Il détruit pour refaire. Un jour, il fait descendre un plafond pour guider notre regard vers le bas. L’autre, il opère une saignée dans le sol. Ailleurs, une tôle de métal est fixée à quelques centimètres du mur. À l’arrière, l’artiste projette du métal en fusion et recueille les débris de cette action. Il crée des tensions à l’aide de tissus torsadés autour d’un bâton et cherche sans cesse à atteindre la limite de la brique, du bois, du placo, de l’acier, du marbre ou du granit. La cassure n’est jamais loin et suscite une certaine jouissance technique. Anselme Sennelier observe comment les matériaux réagissent à une puissance de traction générée par des cordons de fusion. À chaque phase de soudure, il ignore ce qui peut advenir : il va un peu plus loin, remplit le biseau, ajoute de la tension mécanique. Sur un même principe transposé au médium vidéo, il épuise l’image envahie par les flous de poussière. L’écran change de couleur, les copeaux de bois saturent la vision à contre-jour et en surexposition. Quand il conçoit un cercle d’argile, il ajuste la finesse de la fixation, la forme, la méthode, sans avoir auparavant manié cette matière. La terre se maintient grâce à un grillage, les craquelures apparaissent (Fall, 2022). Les pierres courbées (TIGSSS n°1, 2023), étrangement rigides et souples, nous livrent d’autres formes contraintes, perforées, enserrées par l’action de la tige filetée. L’outil est rarement visible, à l’exception d’une carotteuse (18,3 Km, 2022). Fabriquer des machines reste un moyen, non une finalité. Au dépôt d’un tailleur de pierre ou chez d’anciens collègues ouvriers, il récolte ses matières premières : il revient à l’industrie pour puiser ses ressources. 450 N.M (2022) est un panorama de matériaux, une composition abstraite et figurative, un lexique de la découpe et de la matière : la compilation des vies laborieuses de l’artiste. 

Élise Girardot

Texte de Pierre Manceau

Quitter l’univers professionnel des métiers du bâtiment pour aborder celui de l’art. Garder son savoir, ses gestes et sa science des matériaux mais se permettre ce qui, avant, était interdit : l’erreur volontaire ou involontaire, la brèche dans la contrainte, l’essai et le hasard. Tordre et ployer, souder et amalgamer, la tensions et l’élasticité, outil froid et artiste sensible, circuit court et impact environnemental limité au maximum, recyclage de rebuts trouvés proche de son atelier, déchets de marbreries ou de chantiers. Faire avec la rouille qui mord le métal et la vie qui bouffe le bois, qui le gonfle, le creuse et le patine. Anselme Sennelier travaille
à partir de matériaux naturels ou issus de l’ingénierie industrielle et expérimente avec, cherchant à en capter les points de rupture et les qualités cachées, à sculpter avec l’aide des limites plastiques de la matière. Au bout du compte, modeler ses œuvres à partir d’interventions mécaniques nouvelles et nées d’audaces, ou calculées et issues de son passé professionnel, et les mener vers une destination différente : étendre ses limites, acquises à la sueur de son front et à la douleur de son corps, être rentable pour lui-même – cimenter dans le coeur de l’objet qu’il façonne l’énergie de ses idées.

Pierre Manceau.

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